Journalistes et hommes politiques ont découvert en 1968 ce qu'ils ont qualifié de révolution sexuelle, ignorant le cheminement souterrain d'une émancipation amorcée au XIXe siècle. C'est, en effet, au début de la IIIe République que s'opèrent des ruptures décisives.
Le recul des mariages arrangés, le rôle décisif joué par l'amour dans la formation des nouvelles alliances valorisent la séduction et la sexualité. L'érotisation de la société bouscule dès lors de nombreux interdits. Les tabous gestuels, la honte et le silence qui ont si longtemps bridé les plaisirs de la chair, s'érodent. La liberté de parole conduit à la liberté des corps. Les caresses se font plus audacieuses. La tolérance envers les relations prémaritales ou adultérines grandit d'autant que la "prudence" masculine et le filet protecteur de l'avortement autorisent bien des écarts, à défaut d'effacer toutes les peurs.
Certes, cette révolution reste inachevée. Les contemporains demeurent de sévères contempteurs des actes "contre nature". Ils s'élèvent avec toujours plus de véhémence contre les atteintes à l'intégrité et l'innocence enfantines. Mais l'évolution est désormais irréversible.
Dans cet ouvrage, Anne-Marie Sohn a voulu aborder cette césure en scrutant la vie sexuelle quotidienne. Elle a choisi de peindre des Français à la fois ordinaires et divers : jeunes filles sages et femmes nymphomanes, amants experts et maris maladroits. Elle a tenté de restituer la saveur des existences au travers des témoignages tour à tour touchants, cyniques ou dramatiques que livrent la justice et la littérature du moi.